Demain, tous végétariens ?

Ce régime, qui exclut viandes et poissons tout en conservant œufs et lait, peut offrir une alimentation équilibrée.

Article extrait du mensuel Sciences et Avenir n°825 disponible en kiosque jusqu’au 1er décembre 2015.

Demain, tous végétariens ?

Éliminer de son alimentation toute nourriture provenant d’animaux morts. Longtemps perçu comme excentrique et marginal, le végétarisme suscite un intérêt croissant. Les rayons cuisine, bien-être ou société des librairies abondent désormais en ouvrages consacrés à ce régime qui exclut viandes et poissons, tout en conservant œufs et produits laitiers, contrairement au végétalisme. Le végétarisme est même considéré par certains comme une réponse possible à la question de la laïcité dans les assiettes, comme en témoignait une tribune dans le quotidien Le Monde en mars 2015 où sept personnalités réclamaient une alternative végétarienne dans les cantines scolaires.

Que de chemin parcouru pour ce régime dont les adeptes ont longtemps été considérés comme des « babas cools » affaiblis et pâlots ! « Jusqu’à récemment, les recommandations des nutritionnistes ont bien ancré dans la croyance populaire que la viande serait irremplaçable car elle donnerait “des forces”« , estime Anne Jankéliowitch, ingénieure de l’alimentation dans son livre »Végétariens : le vrai du faux« (1). Aujourd’hui, le végétarisme est davantage pris en considération. »Tout se passe un peu comme si le temps avait donné raison aux végétariens", analyse Laurence Ossipow, sociologue et auteure de nombreux travaux sur le végétarisme (2). Nombre de ses pratiques et motivations philosophiques — respect de la vie animale, répartition plus équitable des ressources, gestion plus économe de la nature — sont désormais valorisées. Mais ce régime convient-il vraiment aux omnivores que nous sommes ?

L’alimentation végétarienne est globalement équilibrée

La pratique la plus répandue relève des habitudes dites ovolactovégétariennes qui éliminent de l’alimentation tout élément carné ou provenant d’animaux morts (viandes et poissons), y compris les graisses, les bouillons, les sauces. Les produits tirés de l’activité des bêtes vivantes (miel, œufs, produits laitiers) sont en revanche admis. De l’avis des nutritionnistes, il s’agit d’une alimentation équilibrée si des légumineuses (lentilles, haricots secs...), sources de protéines, et des oléagineux (noix, graines, huiles...), sources d’acides gras essentiels, sont associés aux céréales et aux légumes consommés quotidiennement. Il se distingue donc du végétalisme ou « véganisme » qui bannit tous les sous-produits animaux, pratique radicale critiquée par les experts en nutrition.

Elle subvient à nos besoins en protéines, tant en quantité qu’en qualité

Les protéines fournissent neuf acides aminés indispensables à l’organisme (formation des os, de la masse musculaire, défense de l’organisme) mais que le corps n’est pas capable de synthétiser. L’idée que les protéines végétales seraient « incomplètes » a fait long feu. Des données fiables (3) ont montré que les protéines végétales fournissent l’ensemble des acides aminés essentiels à condition de pratiquer la complémentation protéique. Autrement dit d’associer les légumineuses (en moyenne 18 g de protéines aux 100 g) à des céréales (12 g aux 100 g) ou des fruits oléagineux et des graines (15 à 20 g aux 100 g). Ces sources complémentaires doivent idéalement être fournies au cours du même repas, en associant par exemple les lentilles au riz ou les pois chiches à la semoule. Par ailleurs, les protéines de l’œuf possèdent tous ces acides aminés essentiels dans des proportions équilibrées. Deux œufs de 60 g fournissent 15 à 16 g de protéines, soit l’équivalent d’un steak ou d’un filet de poisson de 100 g.


Réduire sa consommation de viande rouge est bénéfique pour la santé

Le végétarisme va dans le sens des campagnes nutritionnelles qui tentent d’imposer une plus grande consommation de fruits, de légumes et de céréales et une baisse de la consommation de viande rouge qui, en France, a triplé en 70 ans. La vaste étude Epic menée sur 521 000 individus depuis quinze ans a montré que les sujets qui mangent le plus de viande rouge (plus de 160 g/j) ont un risque significativement plus élevé de contracter un cancer du côlon que ceux qui en consomment moins. Des résultats publiés en 2013 estimaient ainsi que 3,3 % des décès survenus dans la population étudiée auraient pu être évités par une consommation de viande inférieure à 20 g/j (4). En revanche, les études ne montrent pas de différences significatives entre les végétariens et les petits consommateurs de viande, proche du régime crétois ou du « flexivégétarisme ».

Œufs et produits laitiers sont de bonnes sources de nutriments

La vitamine B12, indispensable à la formation de l’hémoglobine du sang, est quasi absente des plantes mais présente dans le lait et les œufs. Quant au fer et au calcium, s’ils sont bien présents dans les végétaux (les légumineuses sont de bonnes sources de fer et le thym et la cannelle contiennent 10 fois plus de calcium aux 100 g que le lait), leur biodisponibilité demeure mal connue. Pour l’heure, les recommandations françaises sont donc de consommer des produits laitiers et des œufs pour couvrir ces besoins, en particulier chez l’enfant et l’adolescent à qui le régime végétalien reste vivement déconseillé. Enfin plusieurs études récentes ont montré que les végétariens souffrent d’un déficit en EPA et en DHA, les deux formes actives des oméga 3 fournies par les animaux marins (5). Or ces acides gras essentiels peuvent être apportés de façon indirecte par certains végétaux (noix, huile de colza, graines de lin) riches en ALA, le précurseur végétal de l’EPA et du DHA. En revanche, la prise de compléments alimentaires à base d’oméga 3 n’a pas fait la preuve de son efficacité.

Voici le site d’un jeune passionné de véganisme :
http://mercivegan.fr/proteines-vegetales

Auteure : Marie-Noëlle Delaby

(1) Végétariens : le vrai du faux, Anne Jankéliowitch, Delachaux et Niestlé, 2015.

(2) La Cuisine du corps et de l’âme : approche ethnologique
du végétarisme, du végétalisme, du crudivorisme et de la macrobiotique en Suisse, Laurence Ossipow Wüest, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1997.

(3) « Dietary protein quality evaluation in human nutrition », FAO, Food and Nutrition Paper 92, 2011.

(4) « Meat consumption and mortality — results from the European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition », Sabine Rohrmann et al, BMC Medicine 2013.

(5) « Omega-3 polyunsaturated fatty acids and vegetarian diets », Saunders et al., Med. J. Aust. 2013.

(6) « Avantages et désavantages d’une alimentation végétarienne pourla santé », rapport de la Commission fédérale de l’alimentation, Berne (Suisse), octobre 2006.