La transformation du muscle en viande

On pourrait croire que manger de la viande revient à consommer du muscle ! c’est faux ! En fait de nombreux phénomènes biochimiques interviennent naturellement dans le muscle pour le transformer lentement grâce à une étape de maturation lente en un produit tendre, sapide qui est la viande que vous fournira votre boucher préféré !

 La transformation du muscle en viande

 I- Métabolisme du muscle après l’abattage

Rappel biochimique du fonctionnement du muscle vivant :

In vivo, l’ATP (Adénosine Tri Phosphate) est indispensable aux 2 phases de contraction et relaxation du muscle ;
Au repos  : le muscle est souple et élastique ; les filaments d’actine et de myosine glissent les uns sur les autres.
Lors de la contraction, les filaments glissent et s’accrochent les uns aux autres ; il y a formation d’un complexe « acto-myosine ». En plus de l’hydrolyse de l’ATP, il y a intervention d’ions Ca2+ lors de la contraction.
Rque : Si l’ATP vient à manquer, ce dernier ne peut casser le pont « actine-myosine » formé lors de la dernière contraction ; le système se grippe et c’est le cas de la contracture.

 11- Au moment de l’abattage :

Après la mort clinique de l’animal provoquée par la saignée lors de l’abattage, de nombreuses réactions biochimiques se produisent dans le muscle et modifient sa composition et sa structure, leur aboutissement est la transformation du muscle en viande . Les variations de l’intensité et de la rapidité des transformations post-mortem sont à la base des caractéristiques physico-chimiques de la viande et, par là même des différentes composantes de la qualité .

Lorsque la mort survient, 2 faits majeurs sont à signaler :
Arrêt de la circulation sanguine  : le muscle passe en anaérobiose
Il existe encore de l’ATP et de la phosphocréatine dans le muscle : ce dernier peut encore utiliser ses réserves en condition anaérobiose bien sûr !( car arrêt de la respiration !)

On observe une baisse de la teneur en ATP au bout de quelques heures après l’abattage ; ceci s’explique par plusieurs phénomènes :

 L’ATP est consommé par le métabolisme musculaire comme s’il était au repos (rappel : le muscle consomme de l’ATP même si actine et myosine sont relachées !)
 La respiration ne pouvant plus se faire, il n’y a plus de renouvellement de l’ATP ; seule la voie glycolytique (glycogène —> acide lactique) peut avoir lieu en anaérobiose mais avec un rendement beaucoup plus faible ; cela s’accompagne aussi d’une acidification.
 La Phosphocréatine n’est plus renouvelée (elle est indispensable à la rephosphorilation de l’ADP en ATP c.a.d. à la synthèse de l’ATP )

 12- La Rigor Mortis (RM)

Après la mort de l’animal (2H chez le poulet, 2-3H chez le porc, 15-20H pour un bovin), les muscles entrent en RM ; cela se traduit par une perte des propriétés d’élasticité, donc par un durcissement du muscle. La musculature devient raide et inextensible (le muscle se raccourcit). Cette rigidité cadavérique dure entre 20H et 48H (fonction de la température) chez le bovin.
C’est provoqué par la trop faible teneur en ATP ; en effet :

  • L’effet plastifiant (hydratant) de l’ATP n’existe plus ; il y a baisse du pouvoir de rétention en eau (PRE) du muscle ; cela s’accompagne d’un resserrement de la trame musculaire.
  • Les membranes intracellulaires du réticulum sarcoplasmique ne peuvent plus retenir le Ca2+ qui est libéré dans le sarcoplasme des myofibrilles ; cette augmentation de la [Ca2+] provoque la formation de complexe « Acto-myosine » irréversible car il ne reste plus assez d’ATP pouvant rompre la liaison calcique du complexe ce qui entraine la contracture du muscle !
    Comme le montre la figure ci dessous cette rigidité cadavérique va progressivement disparaitre (après 24H chez le bœuf) grâce à des réactions biochimiques (on parle de maturation) : c’est la résolution de la rigidité cadavérique qui aboutit à une viande rassie ou maturée (gout et tendreté optimale)

 13- Anomalies des phénomènes biochimiques de la RM

L’acidification post mortem est due surtout au turn-over (utilisation) de l’ATP plutôt qu’à la glycogénolyse !
la vitesse d’acidification est due à la vitesse d’utilisation de l’ATP
L’amplitude de l’acidification est elle fonction de l’importance des réserves énergétiques du muscle (glycogène). Elle est mesurée par le pHultime (pHu)=pH mesuré 24H après l’abattage

a) Amplitude de l’acidification :
L’amplitude est fonction de la quantité d’acide lactique formé c’est à dire des réserves en glycogène du muscle .
Cette amplitude d’acidification est mesurée par le pHultime = pHu = pH au bout de 24 H après l’abattage.

1er cas : réserve énergétique (glycogène) faible  :
C’est le cas des jeunes bovins, taurillons, qui présentent au cours du transport des réactions musculaires brutales qui mobilisent leur glycogène musculaire.
Peu d’acide lactique est formé après l’abattage. L’entrée en RM se fait à pH élevé (pHu >=6 pour les Bovins et pHu >=6.2 pour le porc) . On obtient des viandes à « coupe sombre » ou « fiévreuse » ou encore appelée « DFD » (Dark, firm and Dry)
La viande des taurillons à prédominance de muscles rouges tend à devenir DFD, viande de couleur sombre et de consistance ferme et sèche.

2ème cas : réserve énergétique (glycogène) élevée :
C’est le cas de certaines races de porcs pour lesquels le pHu peut atteindre des valeurs anormalement basses (pHu< 5.5) ; on parle de viandes acides

b) Vitesse d’acidification  :
Elle est directement liée à la vitesse d’hydrolyse (utilisation) de l’ATP.
Chez le porc, certains défauts métaboliques d’ordre génétique (gène Halothane) provoque une hydrolyse très rapide de l’ATP et du glycogène, ce qui provoque un acidification intense et brutale (le pH peut atteindre 5.5 en quelques dizaines de minutes !). Cela aboutit à une installation précoce de la RM et donne des viandes de Porc à caractère exsudatives, pisseuses ou « PSE » (Pâle, Soft and Exsudative) (viandes « PSE ») : on aboutit à la dénaturation des protéines myofibrillaires et de la couleur (myoglobine).
Ce qui explique que la viande de porcin à prédominance de muscles blancs tend à devenir PSE , viande de couleur pâle un peu brunâtre, de consistance molle et retenant mal son eau.

En résumé , chez le porc :

 14- pH et défauts des viandes de porc

Le graphique ci dessous nous permet de faire le point sur le lien entre pH et les défauts des viandes de porc :

a- Les viandes PSE (pale, soft, exudative) ou viandes « pisseuses ».
Elles sont caractérisées par une chute de pH extrêmement rapide après la mort. La conjonction d’un pH bas et d’une température du muscle élevée conduit à une forte dénaturation protéique avec pré¬cipitation des protéines sarcoplasmiques. De ce fait :
leur pouvoir de rétention d’eau (PRE) est faible de même que leur pouvoir stabilisant (dispersions) ;
« leur couleur est plutôt pâle : filaments protéiques avec une structure fermée donc beaucoup de lumière réfléchie par le muscle ;
• on a peu de tenue musculaire  : muscles flasques, viandes molles avec chevauchement des muscles fessiers au niveau de la section du jambon, en découpe ;
Ce défaut est, en grande partie, dû à la présence d’un gène de sensibilité au stress (gène halothane) très fréquent au niveau des races extrêmement bien conformées (Piétrain par exemple).

b- Les viandes DFD (dark, firm, dry) ou viandes sombres :
Le pHu est élevé (pH >6,2 ou 6,3 chez le porc ; pH > 6,0 chez les gros bovins). À l’inverse des précédentes, la couleur est donc sombre (pas toujours chez le porc), leur pouvoir de rétention d’eau est élevé (filaments protéiques avec une structure ouverte), leur conservation est difficile (pH élevé donc développement microbien facilité). En fait, elles apparaissent dès lors que l’animal a épuisé ses réserves en glycogène avant abattage (transport long, animal sensible au stress).

c- Les viandes acides à pHu bas ( <= 5,5 ) et acidification souvent lente.
Elles se caractérisent par un très faible pouvoir de rétention d’eau [pH proche du pHi du muscle (pHi -isoélectrique- du muscle : 5,2 à 5,4 environ)], une couleur grisâtre, un suintement permanent d’eau sur la coupe du muscle.
La sélection porcine visant à corriger l’état PSE (sensibilité au stress) en introduisant, dans les schémas de sélection, des races non sensibles (Hampshire, par exemple) a fait apparaître ce défaut, d’ordre génétique, également. Ces races possèdent une teneur en glycogène musculaire anormalement élevée d’où, aussi, une teneur en eau supérieure à la normale (eau associée au glycogène).

 14- Contracture au froid (Cold Shortening)

La température est le facteur le plus important ayant une influence sur l’installation de la RM.
En baissant la température, on retarde l’entrée en RM :

Durée d’installation de la rogor Moris en fonction de la température
T(°C)15152537
Installation de la RM en minutes 850
=14.2h
1190
=19.8h
890
=14.8h
730
=12.2h
410
=6.8h

Si on refroidit en dessous de +12°C des carcasses avant qu’elles soient rentrées en RM (il reste encore de l’ATP et le pH est >6 ) alors il y a formation d’un complexe « actomyosine » qui est déclenché par le froid (qui provoque une libération d’ions Ca2+ dans le sarcoplasme) qui ne pourra être rompu par l’ATP car il sera épuisé (acidification normale de la RM).
Le muscle entre en RM en état de contraction ce qui préjudiciable à l’attendrissement ultérieur de la viande. On parle de contracture au froid ou Cold Shortening.

Ce risque de contracture au froid pose des problèmes :
Au niveau du mode de réfrigération des carcasses ; la législation des gros bovins impose une température à cœur <=+7°C atteint en 24 H maxi.

Désossage à chaud des carcasses des gros bovins avant l’entrée en RM  : le désossage à chaud accélère la vitesse de refroidissement de chaque muscle et augmente ainsi le risque de contracture au froid

 II- La maturation

Après la mort de l’animal (2H chez le poulet, 2-3H chez le porc, 15H-20H pour un bovin), les muscles entrent en RM ; cela se traduit par une perte des propriétés d’élasticité, donc par un durcissement du muscle. Cette RM dure entre 20H et 48H chez le bovin.
Inversement au cours de la maturation, la tendreté s’améliore progressivement.

C’est à ce stade qu’on peut parler de viande (rassie ou mûre) puisqu’on retrouve les qualités organoleptiques caractéristiques de ce produit (tendreté, flaveur et jutosité)
Cette maturation peut durer entre 5 et 15J après l’abattage chez le bovin (fonction de la température de conservation). Si on prolonge trop la durée de maturation, cela se fait au détriment d’autres qualités comme la couleur, la jutosité la flaveur (rance) et surtout la qualité sanitaire !

On peut donc définir la maturation comme étant l’ensemble des modifications physico-chimiques et enzymatiques qui affectent la structure et la nature des composants du muscle. Ces modifications sont à l’origine de la transformation du muscle en viande. Cette phase s’étend donc depuis l’abattage jusqu’à la consommation finale de la viande. La maturation n’est pas nécessaire en transformation charcutière !

  21- Mécanismes impliqués dans la maturation des viandes :

Deux types de mécanismes fortement dépendant de la température, agissent de façon synergique ;

Mécanismes enzymatiques : la chute du pH pendant la RM a activer plusieurs enzymes (notamment des protéases) comme les cathépsines capables d’hydrolyser la myosine, l’actine et la troponine.
D’autre enzyme vont hydrolyser le glycogène en glucose (Réactions de Maillard) et des lipases vont produire des acides gras libres à partir des lipides.

Mécanismes physico-chimiques : des phénomènes physico-chimiques complexes comme l’augmentation de la pression osmotique (doublement depuis l’abattage) vont fragiliser les cellules musculaires ce qui va faciliter l’action des protéases !

  22- Paramètres influençant la maturation :

a) Facteurs technologiques :
• Conditions de la RM : la vitesse d’acidification influence la tendreté qui diminue quand la vitesse augmente.
• La température : la vitesse de maturation diminue avec des températures de conservation basses :

  • à +1°C : augmentation de 50% de la durée par rapport à +4°C
  • à 0°C : on peut conserver jusqu’à 3 mois la viande sous vide ;
  • on peut raccourcir la durée de la maturation, mais il y a un risque sanitaire !

b) Facteurs biologiques :
espèces animales : la viande de poulet est celle qui mature le plus vite (48 h) suivie du porc (4-5 j), de l’agneau et du bovin (8-15j).
Ces différences s’expliquent par la nature différente des muscles (type métabolique et contractile) . Globalement lorsqu’on passe du bovin au poulet, la musculature devient progressivement plus blanche et se contracte plus rapidement ; ce type de muscle blanc semble maturer plus rapidement que les muscles rouges à contraction lentes !
Age  : la durée de maturation augmente avec l’age. Ex : à +4°C veau=4-5j ; taurillon=8-10j ; Vache de réforme=13-15j.

Références bibliographiques :
• Les techniques de l’Ingénieur ( Chapitre F 6 500)
• R. DUMONT ENSAA Dijon

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