Le saumon d’élevage de Norvège contaminé !

Faut-il chasser le saumon de nos assiettes ?

Frais ou fumé, le saumon contient de nombreux pesticides et métaux lourds. (LAURI PATTERSON / GETTY IMAGES)

Envoyée spéciale en Norvège Marion Solletty

Mis à jour le 17/12/2013 | 10:46 , publié le 16/12/2013 | 17:59

La star des poissons gras est depuis longtemps vantée pour ses bons oméga-3.

Mais des analyses réalisées pour France Télévisions montrent que le saumon contient aussi un cocktail de contaminants.

Il est un des rois des tables de fête : le saumon, fumé de préférence, trône en bonne place sur les nappes rouges et dorées de nos repas de réveillon. Mais les Français n’attendent pas Noël pour le consommer : avec plus de 33 000 tonnes achetées en 2012, selon les chiffres de FranceAgriMer , il est leur poisson frais préféré.

Peut-être à tort.

France Télévisions a fait analyser par un laboratoire indépendant trois échantillons de saumon d’élevage provenant de Norvège, premier fournisseur de la France. Les résultats confirment la présence dans sa chair de substances peu recommandables : dioxines, polluants industriels, métaux lourds… Un cocktail de contaminants qui finit directement dans nos assiettes.

Des polluants très tenaces stockés par les poissons

Aucune filière n’est épargnée. Ainsi, sur les trois échantillons testés - un saumon frais acheté au détail, un saumon fumé de marque distributeur et un saumon fumé de grande marque estampillé bio -, le plus contaminé est… le saumon fumé bio, qui présente des concentrations près de deux fois supérieures aux deux autres échantillons sur les principaux contaminants. Les concentrations mesurées restent dans les limites fixées par la réglementation européenne en termes de résidus de substances indésirables, mais ne sont pas pour autant anodines.

Le cœur du problème est connu depuis longtemps, et se résume en trois lettres : POP, comme polluants organiques persistants. Ces composés chimiques, issus de l’activité industrielle, sont particulièrement nocifs car ils ont des durées de vie longues et perdurent en milieu naturel plusieurs années après le moment de la pollution.

Ils ont en outre la propriété de s’accumuler le long de la chaîne alimentaire : les espèces carnivores absorbent et stockent les doses contenues dans les petits animaux dont elles se nourrissent.

Ces contaminants polluent tous nos aliments, mais les poissons sont particulièrement exposés, à cause des rejets qui polluent les océans et parce que leurs chairs - tissus graisseux en particulier - se prêtent bien au stockage de ces substances.

Dioxines, PCB et autres réjouissances

Les plus connus des POP sont les dioxines et les PCB. Régulés depuis les années 1980, ils continuent d’empoisonner notre environnement. Leurs méfaits sont multiples : ils peuvent perturber le système hormonal et immunitaire et sont aussi fortement suspectés d’être cancérigènes.

Pour mesurer le risque représenté par les contaminants, les autorités sanitaires ont établi un seuil d’exposition critique : c’est la dose hebdomadaire tolérable (DHT), autrement dit la dose pouvant être ingérée « sans risque notable pour la santé », en prenant en compte l’ensemble du régime alimentaire de la personne. Le problème, c’est que les réglementations établies pour ces contaminants ne suffisent pas à protéger les consommateurs : dans certains groupes de population, plus de la moitié des individus ont une exposition supérieure à la DHT, selon les chiffres de l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) (en anglais).

Et les gros mangeurs de poisson sont en première ligne. Selon les analyses menées pour le compte de France Télévisions, pour un enfant de 30 kilos, deux portions de saumon de 200 grammes suffisent à atteindre 65% de la DHT. Elles représentent 32% de la DHT pour une femme.

Une liste de contaminants qui s'allonge toujours

Les analyses réalisées pour France Télévisions n’ont pas valeur de statistiques, mais elles confirment que les conditions d’élevage - bio ou non - n’ont que peu d’impact sur les contaminants les plus tenaces : ces derniers imprègnent tout l’environnement. Seules une décontamination très en amont (de l’alimentation notamment) et des mesures de long terme peuvent avoir un effet.

Problème : certaines substances, dont les effets nocifs ont été découverts sur le tard, n’ont fait l’objet de restrictions que récemment. C’est le cas des retardateurs de flamme bromés(RFB), dont certains ont fait il y a peu leur entrée dans la liste rouge des POP. Ces produits chimiques sont utilisés dans l’industrie pour ignifuger de nombreux produits, comme le matériel informatique ou certains éléments de mobilier.

Les analyses menées pour France Télévisions ont permis de détecter la présence d’au moins onze substances de ce type dans les trois échantillons. Parmi elles, le BDE-99, pour lequel l’Efsa a jugé qu’il existait « un risque sanitaire potentiel au vu des niveaux d’exposition actuels ».

Et le Mercure !

Le mercure, un danger sous-estimé !

En dehors des POP, une autre catégorie de contaminants est particulièrement surveillée chez le poisson : les métaux lourds.

Parmi eux, le méthylmercure, un neurotoxique puissant qui peut avoir des effets particulièrement délétères - retard mental - chez le fœtus et le jeune enfant.

En décembre 2012, une étude publiée par l’Efsa a révélé que, parmi les gros consommateurs de poisson, le niveau d’exposition pouvait atteindre six fois la dose hebdomadaire considérée comme acceptable pour le méthylmercure. Au passage, l’agence a admis dans une note que « les effets bénéfiques attendus des oméga-3 présents dans le poisson pourraient avoir conduit à sous-estimer les risques liés au méthylmercure ».

Pour le méthylmercure, le saumon n’est pas le plus contaminé des poissons - les grands prédateurs comme l’espadon et le thon en sont les champions -, mais sa place privilégiée dans nos assiettes en fait une source de contamination non négligeable. Ainsi, deux portions de saumon représentent près d’un cinquième de la dose hebdomadaire tolérable pour un enfant.

Pouvoirs publics confus...

Peser le pour et le contre, un vrai casse-tête !

Ces résultats ont de quoi surprendre quiconque ne s’est pas penché en détail sur ces questions. Depuis des années, nutritionnistes et médecins nous recommandent chaudement les poissons gras, dont le saumon fait partie.

Première de leurs vertus : leur teneur en oméga-3, ces acides gras essentiels qui permettent notamment de prévenir les troubles cardiovasculaires.

En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) préfère d’ailleurs mettre l’accent sur « les qualités nutritionnelles précieuses » du poisson que sur ses aspects moins reluisants. Dans la synthèse de ses avis sur les produits de la mer, publiée en juillet 2012, elle recommande de consommer « un poisson deux fois par semaine, dont un poisson gras (saumon, sardine, maquereau, hareng, truite) ». Si des recommandations restrictives sont données pour certaines espèces, aucune ne concerne le saumon et ces autres poissons gras.

Une position qui tranche avec celle affichée, en juin 2013, dans une communication du ministère de la Santé norvégien. Publié sur le site internet (en norvégien) du ministère, le texte explique que « les jeunes femmes et les femmes enceintes devraient éviter de manger plus de deux fois par semaine du poisson gras, saumon, truite, maquereau et hareng compris ».

Pour le consommateur, la confusion est totale : faut-il plébisciter le saumon, ses nutriments et ses bons oméga-3, ou le bannir - lui et ses contaminants - de son assiette ?

En Norvège, des recommandations contradictoires

En Norvège, premier pays producteur de saumon, la question est sensible. Et ne met pas tout le monde d’accord : malgré les nouvelles recommandations du gouvernement, l’Institut national norvégien de recherche sur la nutrition et les produits de la mer (Nifes), qui produit l’essentiel de la recherche consacrée au poisson, continue de défendre bec et ongles le saumon sur son site internet.

Ainsi, en juillet, alors même que les autorités sanitaires norvégiennes recommandaient aux femmes enceintes de limiter leur consommation de poisson gras, un communiqué (en anglais) publié sur le site du Nifes vantait les bienfaits des oméga-3 présents dans le poisson, susceptibles de « prévenir la dépression post-partum ».

Si les cadres de l’institut insistent sur leur indépendance vis-à-vis de l’industrie aquacole, force est de constater que leurs prises de position sont toujours très favorables au saumon.

« Le positif l'emporterait sur le négatif »

Livar Frøyland, moustache blonde et discours lisse, dirige le programme « Produits de la mer et santé » au Nifes. Il a accepté de nous recevoir dans les locaux de l’institut, une jolie bâtisse de bois blanc nichée dans le port pittoresque de Bergen, la deuxième ville de Norvège. Dans les couloirs qui desservent les laboratoires dernier cri, d’épaisses poutres de bois couleur miel rappellent que le bâtiment abritait autrefois des entrepôts de pêche.

Pour Livar Frøyland, les attaques visant le saumon méconnaissent la réalité des chiffres. Sur le tableau blanc qui orne son bureau, il dessine au marqueur un verre figurant le « cocktail » ingéré par le consommateur. En gros, le « plus » apporté par les oméga-3 et autres nutriments du saumon. En petit, le « moins » que représentent les contaminants.

De véritables dangers !

« Les polluants peuvent inhiber les effets des oméga-3 »

Un bilan comptable qui ne convainc pas Jérôme Ruzzin, un toxicologue français qui travaille à quelques centaines de mètres de là, à l’université de Bergen.

« Le problème, c’est que [cette approche] ne prend pas en compte la manière dont le consommateur reçoit ces oméga-3, c’est-à-dire en même temps que les contaminants », explique-t-il dans son petit bureau où s’entassent rapports d’études et brochures scientifiques.

Or, pour certaines maladies, comme le diabète, « les polluants peuvent complètement inhiber les effets bénéfiques attendus des oméga-3 », souligne le chercheur, qui a publié plusieurs articles sur le sujet. Le toxicologue a eu les honneurs de la presse locale en remettant publiquement en cause les bienfaits du saumon. Comme beaucoup d’experts, il estime que les risques liés aux contaminants ont été sous-estimés précisément en raison de cette approche segmentée.

Faut-il pour autant éviter le saumon comme la peste ? Non, répond le professeur David O.Carpenter, directeur de l’Institut pour la santé et l’environnement à l’université d’Albany, aux Etats-Unis. En 2004, il a cosigné une étude de référence sur le sujet dans la revue Science (en anglais) : elle alertait sur les niveaux de contamination relevés dans le saumon d’élevage pour les dioxines et PCB.

Les jeunes femmes particulièrement exposées

Le professeur Carpenter recommande une approche raisonnée : pour des hommes à risque cardiovasculaire élevé, consommer du poisson gras mais aussi d’autres sources d’oméga-3 (certains légumes verts et noix en sont bien pourvus) a des bénéfices incontestables.

En revanche, l’exposition aux POP et aux métaux lourds est particulièrement nocive pour les femmes enceintes. « C’est triste à dire, mais la meilleure manière d’éliminer ces polluants de notre corps, c’est d’avoir un bébé », confirme Jérôme Ruzzin, en raison du transfert massif qui s’opère entre la mère et l’enfant lors de la grossesse et de l’allaitement.

Or la charge toxique reçue à cette période par le fœtus et le nouveau-né ne dépend pas que de l’exposition récente. "Les jeunes femmes sont particulièrement à risque, car la demi-vie de ces composés dans le corps humain est de l’ordre de dix ans.

Si une adolescente mange beaucoup de poisson contaminé, ces substances seront toujours dans son organisme lorsqu’elle atteindra l’âge d’avoir des enfants", explique le professeur Carpenter. Pour elles, la dose de deux portions de poisson par semaine, dont un gras, est bien à prendre comme un maximum.

Le film de France 2

Voici un extrait du reportage d’Envoyé Spécial du 7 nov 2013 concernant « les poissons élevés en eaux troubles ».

  • La première partie concerne le PANGA
  • La deuxième partie (à partir de la 5ème minute) concerne le SAUMON de Norvège