Peut on, encore manger du thon ? Nitrates, Ajout d’eau…

 Peut on, encore manger du thon ? Nitrates, Ajout d'eau…

Avec la mode des sushis et autres sashimis, la consommation de thon frais s’est démocratisée. D’autant que le << steak de la mer >> bénéficie d’une image de produit sain et naturel. Des résultats d’analyses montrent que c’est loin d’être toujours le cas.
Ce matin, au marché, vous vous êtes laissé tenter par un beau filet de thon, au rouge brillant. Mauvaise pioche. Il a perdu de l’eau et rétréci dans la poêle, et, une fois dans l’assiette, n’a pas tenu ses promesses, au niveau du goût comme de la texture, plutôt pâteuse. Autant de signes qui peuvent révéler l’introduction d’additifs et autres traitements chimiques dans un poisson pourtant vendu comme produit « brut ».

 1- Nitrates et nitrites

Certes, l’ajout d’eau ou de conservateurs n’est pas interdit pour les produits de la mer, mais à condition d’être clairement mentionné sur l’étiquetage (« préparation décongelée de longe de thon albacore avec eau ajoutée, aromatisé f. . ») et complété par la liste des ingrédients : « 80% de thon, 20% d’eau, sel, E330, E300. .. ». Or, ce n’est pas toujours le cas. Les étiquettes ou les informations recueillies pour les 39 échantillons de longes et produits de découpes testés ne font presque jamais mention d’ajout d’eau ou d’additifs, alors que des analyses en ont mis en évidence dans plusieurs d’entre eux.

Ces analyses ont, en outre, révélé la présence de nitrates ou de nitrites dans 4 produits (soit près de 10% du panel) ! L’utilisation de ces substances est, certes, permise dans certains produits alimentaires (charcuterie notamment), mais elle est strictement interdite pour le poisson car, en préservant la couleur de la chair, elle masque sa dégradation naturelle au cours du temps.

Dans le cas du thon, si la température de congélation a été insuffisamment basse, sa couleur rouge vire rapidement au brun après la décongélation, signe normal d’une oxydation rapide du produit. Or, mis à part le thon germon (Ïbunnus alalunga) et le thon rouge de Méditerranée (Ïîyunnus t/Jynnus) dont la production est marginale, la majorité des thons vendus en frais sont en réalité des produits décongelés (l’étiquetagedoit d’ailleurs le mentionner). Ce sont des espèces tropicales (thon obèse, albacore. . .) pêchées dans l’océan Indien, le Pacifique ou l’Atlantique Sud . Elles sont capturées par des bateaux usines équipés pour la congélation.
Vu l’éloignement entre les lieux de pêche et de consommation, les thons congelés sont ensuite transportés vers les pays de destination dans des conteneurs frigorifiques. La plupart de ces captures sont destinées aux conserveries (90% des importations françaises), mais une part non négligeable se retrouve aussi en vente aux rayons frais. Les poissons sont décongelés et préparés par des grossistes transformateurs avant leur mise sur le marché. Pour autant, la congélation n’est pas forcément synonyme de produit de basse qualité, bien au contraire. « Àu japon, le marché du sushi et du sashimi est approvisionné à 80 % par des produits congelés à— 60 °C car c’est le haut de gamme », commente Alain Bailly, directeur de l’entreprise Fish is life. La qualité de ce thon dépend avant tout de celle du produit initial et de la température de congélation, car plus cette dernière est basse, plus longtemps le thon conservera intactes toutes ses qualités organoleptiques. Mais la vitesse de congélation est également un critère essentiel car elle évite l’éclatement des cellules et garantit aussi un produit équivalent, voire supérieur au frais. Dans la pratique, le marché est segmenté en 3 catégories selon le niveau de congélation : —60°C, c’est le top ; -40 °C, c’est la consommation courante ; à —20°C, les produits sont dits « bas de gamme » et en principe destinés à la conserve. Bien sûr, le cours du poisson varie de façon inversement proportionnelle à cette classification. Ainsi, le prix d’une longe d’albacore passera de 1 à 3 selon qu’elle sera congelée à -20 °C, -40 °C ou —60 °C.

Face aux pressions de la grande distribution et à la course effrénée aux prix toujours plus bas, la tentation est grande pour certains transformateurs de recourir à une matière première bas de gamme, mais qui les oblige à utiliser des traitements chimiques pour masquer l’oxydation rapide du produit. Au début des années 2000, on a ainsi vu se développer le traitement au monoxyde de carbone (C0) : celui-ci se lie à la myoglobine pour former la carboxymyoglobine rouge clair, conférant un aspect appétissant aux longes traitées. Devant les risques sanitaires mais aussi la concurrence déloyale que ces fraudes généraient, le Syndicat national du commerce extérieur des produits congelés et surgelés (SNCE) a alerté la DGCCRF (Direction générale de la concurrence. de la consommation et de la répression des fraudes), qui a réagi et mis fin aux pratiques illicites. Ce traitement est désormais interdit en Europe, pour les mêmes raisons que l’utilisation de nitrates et de nitrites.

Mais les fraudeurs recourent maintenant a des techniques plus pernicieuses qui leur permettent de fixer la couleur après décongélation, tout en restant apparemment dans la légalité : ils injectent des extraits végétaux (radis, céleri, romarin...) dans les longes, sous prétexte d’aromatiser le produit. Or ces arômes ne sont pas perceptibles au goût, ces extraits ayant largement été désodorisés. Et pour cause ! Le consommateur ne recherche pas un arôme de légume quand il mange du thon « frais » ! Comme l’argument de l’aromatisation ne tient pas, il faut chercher ailleurs l’explication de leur emploi. En réalité, les extraits végétaux ont la particularité de concentrer les nitrates présents à l’état naturel dans certains légumes. Une réaction de nitrification permet de les convertir en nitrites, lesquels vont colorer d’un beau rouge un produit au départ marron foncé. Pour que la réaction soit complète et donne un résultat homogène en surface et à l’intérieur de la longe, il faut coupler l’injection d’extraits végétaux dans la chair de la longe à un cocktail d’antioxydants, entre autres d’acide citrique et d’acide ascorbique. Le problème est que nitrites et nitrates sont difficiles à détecter par analyse, car leur présence est fugace dès lors que le process est bien réalisé.
Certains signes visuels peuvent laisser planer le doute, comme la mollesse de la chair avec des fibres qui s’effritent en surface, ou la présence d’un jus important qui n’a pas la couleur du sang de thon.

 2- E330 et E300 à haute dose

Des analyses ont été réalisées sur 39 échantillons (voir plus bas)

Un des échantillons a montré un exsudat, et 3 références sur les 4 comportant des nitrates ou des nitrites présentaient une texture molle. Cela a persisté après une cuisson poussée, alors que la chair aurait dû devenir ferme. De même, la couleur de ces échantillons est apparue d’un « rose jambon » après cuisson, alors qu’elle aurait dû virer au beige-marron sous l’effet de la chaleur. Ces signes laissent fortement suspecter des traitements interdits sur le thon.
D’autant que les 4 échantillons contenant des nitrates ou des nitrites présentent aussi des teneurs très élevées en acides citrique et ascorbique. Certes, l’utilisation de ces antioxydants n’est pas interdite pour le poisson — nous en avons d’ailleurs retrouvé dans la plupart des échantillons —, mais les quantités mesurées ici sont largement supérieures aux doses d’emploi admises. Les produits qui concentrent un faisceau d’indices permettant de suspecter une pratique de coloration sont notés 2 carrés (▪▪). Les cas moins flagrants (absence de nitrates ou de nitrites, mais teneurs anormales d’antioxydants associées à une couleur rose après cuisson) obtiennent une étoile (*).

 3-Ajout d’eau

La plupart des échantillons douteux présentent aussi des teneurs en humidité élevées et des teneurs faibles en protéines, signes d’un ajout d’eau probable visant à augmenter artificiellement leur poids. Même s’il n’existe pas de seuil officiel pour le rapport humidité sur protéines (H/ P) pour le thon (à la différence d’autres espèces), des valeurs repères en H/P et en protéines, ainsi que la présence, dans les produits, d’additifs pouvant jouer un rôle de rétenteurs d’eau à des taux élevés permet de conclure, avec une très forte probabilité, à l’adjonction d’eau.

 4-L’histamlne

Enfin, le laboratoire a détecté de l’histamine dans 3 échantillons à des niveaux très largement supérieurs au seuil réglementaire de 200 mg/ kg. L’histamine est issue de la dégradation de l’histidine, un acide aminé présent dans les muscles de certains poissons, en particulier le thon, qui apparaît au cours du processus de dégradation des fibres musculaires. Elle peut provoquer des réactions très désagréables (apparition de plaques rouges, démangeaisons, bouffées de chaleur, sensation de brûlure dans la gorge, palpitations cardiaques...) chez les sujets sensibles, pouvant aller exceptionnellement jusqu’à un choc anaphylactique. La consommation d’aliments chargés en histamine présente donc un risque grave pour la santé. Or les additifs et autres injections, qui masquent l’état d’oxydation du produit, augmentent ce risque, comme le montrent les taux mesurés dans les deux derniers échantillons du tableau.
Des cas non isolés. Récemment plusieurs alertes européennes ont révélé une recrudescence inquiétante des contaminations à l’histamine dans des « préparations » de thon, avec des taux extrêmement élevés. « .2000, 4000... jusqu’à 6880 mg/microgramme ! » ont été constatés, rapporte le magazine Produits de la mer ! Reste que près d’un tiers des produits testés sont irréprochables. Dommage que le consommateur n’ait pas les moyens de distinguer le bon grain de l’ivraie. À quand un label garantissant l’absence d’additifs dans le thon cru .

 5- Etiquetage à géométrie variable

La réglementation européenne impose aux professionnels depuis le 13 décembre 2014 de nouvelles mentions sur l’étiquetage des produits de la péche et de l’aquaculture. Outre le nom commercial de l’espèce (sardine. sole. merlan. etc.) et son équivalent scientifique en latin. ainsi que la méthode de production (péche. élevage). 2 informations doivent figurer sur les étiquettes : l’engin de capture (senne, chalut, ligne.casier, etc.) et la zone précise de capture. Par exemple, la mention « océan Indien » ne suffit plus. Doit figurer à la place : « océan indien Ouest ». « océan Indien -Antarctique et Sud »...Hélas. des relevés révèlent que l’on est encore loin du compte. L’indication de l’engin de capture ne figure que dans 25% des cas. La zone de capture mentionnée est souvent trop vague. La dénomination commerciale peut se limiter à « filet de thon ». « longe de thon ». « morceau de thon » ou méme « thon », quand on devrait avoir au minimum l’indication du nom commun de l’espèce « thon albacore », « thon obèse »...). Quant au nom scientifique, il est absent 8 fois sur 10. Seuls 4 affiçhages (2 chez Leclerc. 1 chez U. 1 chez Zora) sont irréprochables. Les poissonneries traditionneiies sont les plus mauvais élèves. Les produits étaient parfois commandés. Cela justifie-t-li le si peu d’informatlons reçues ?
Dans l’ensemble. La grande distribution fait preuve d’une plus grande rigueur. méme si ce constat est variable d’un magasin à l’autre au sein l’une même enseigne.

 6- Les essais réalisés

Rappel sur Les familles de thon

La grande famille des thons

Difficile de s’y retrouver parmi les sortes de thon. En réalité. 5 espèces de thonidés dominent le marché mondial.

a- Le listao (Katsuwonus pelamls)

appelé également « bonite à ventre rayé », est l’espèce la plus capturée (2.36 millions de tonnes par an) et la reine des boîtes de conserve. De taille modeste. son poids dépasse rarement 25-30 kg. Le listao vit dans les eaux tropicales des 3 océans. Bien que les stocks soient pleinement exploités, la pèche est globalement qualifiée de durable sauf dans le Pacifique Est où émergent des risques de surexploitation.

b- L’albacore (Thunnus albacares)

ou « thon jaune » arrive en 2° position. avec plus de 1 million de tonnes capturées chaque année. ll peut dépasser 200 kg et 2 mètres. ll est pêché dans les eaux tropicales et subtropicales. surtout à la senne (filet tournant encerclent le ban de thons). Les stocks sont pleinement exploités, ou exploités au—delà du RMD (rendement maximal durable), donc avec un risque de surpèche. Évitez ceux qui proviennent de l’Atlantique en attendant le retour à une biomasse durable. L’albacore du Pacifique et celui de l’océan Indien peuvent être recommandés avec modération. Très utilisé en conserverie. ce thon est de plus en plus vendu en poissonnerie sous l’appellation. à tort de « thon rouge ». Faites-vous préciser le nom latin du produit que vous achetez.

c-Le thon obèse (Thunnus obesus)

Ou patudo. est pèche dans les mémes zones que l’albacore. Malgré son nom. ce poisson, reconnaissable à ses gros yeux. Ne pèse pas plus de 100 kg. Principalement commercialisé sous forme de conserve. il commence à apparaître en poissonnerie. Sans atteindre des niveaux alarmants, les stocks des océans Pacifique et Atlantique seraient surexploités. Celui de l’océan Indien est pleinement exploité.

d- Le sermon (Thunnus alalunga)

pèse jusqu’à 50 kg, voire 80 kg. il se pèche dans les eaux tropicales et dans le golfe de Gascogne. La majorité de la production est destinée à la conserve ; dommage. car sa chair teintée de rose est délicieuse. Pas de raison. donc. de s’en priver lorsqu’elle est vendue en été. lors de la pleine saison.

Le stock de germon de l’Atlantique Nord n’est pas en danger à son niveau actuel d’exploitation.

e- Le thon rouge (Thunnus thynnus)

dont la production est aujourd’hui confidentielle. 80% des captures se font en Méditerranée. Après la très forte surexploitation de l’espèce au début des années 1990, la réduction des TAC (totaux admissibles de captures) et les mesures renforcées de contrôle ont permis une inversion de la courbe du déclin. L’état du stock devrait atteindre à nouveau un niveau durable en 2020. Mieux vaut toutefois le consommer avec modération et privilégier le thon rouge de ligne (canne).