Halal : l’Allemagne à la conquête de la France
L’Allemagne s’intéresse de très près au marché du halal en France, dont elle a beaucoup à apprendre tant le secteur est sous- développé outre-Rhin. A l’initiative du ministère allemand de l’Alimentation et de l’Agriculture, un voyage d’affaires a été organisé cette semaine par la Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie (CFACI). Les opportunités économiques ne manquent pas pour les entreprises allemandes, invitées à rencontrer des professionnels français mardi 18 septembre à Paris.
Rédigé par Hanan Ben Rhouma | Vendredi 21 Septembre 2012
N’en plaise à ceux qui le dévalorisent, le marché du halal en France est courtisé par nos voisins européens. Un voyage d’affaires de cinq jours – une première pour la Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie (CFACI) – a été organisé du 17 au 21 septembre en France de concert avec le cabinet Solis, l’agence spécialisée dans les études marketing ethniques.
Au programme des huit entreprises allemandes conviées : des visites d’enseignes de la grande distribution et d’agences de certification telles AVS, la Grande Mosquée de Paris et de Lyon, ponctuées de rencontres auprès de divers acteurs du marché du halal en Ile-de-France et en province, et d’ateliers pour leur donner l’occasion d’échanger sur les expériences et les pratiques respectives.
« Nous nous sommes attachés à leur présenter une vue d’ensemble du secteur afin qu’ils aient des premières clés de compréhension du marché », nous explique Abbas Bendali, directeur de Solis.
Un mot d’ordre : investir dans le halal en France est possible
C’est dans l’ambiance feutrée mais conviviale de l’ambassade d’Allemagne à Paris que des professionnels français et allemands se sont retrouvés, mardi 18 septembre, pour mieux s’entre-connaître autour de deux présentations. L’une sur le marché halal en Allemagne a été conduite par Oguz Evler, président de l’association agro-alimentaire germano-turque DT Food, précédée d’un exposé sur les clés du lancement d’une gamme de produits halal en France par Abderrahman Bouzid, chargé de mission du projet « Halal & Saveurs du Maghreb » au sein du groupe Casino.
Désormais directeur de AB Associates Conseil, il n’en reste pas moins élogieux auprès de son public sur la stratégie innovante entreprise par Casino dans le monde français du halal, qui a permis le lancement puis le développement de Wassila en août 2009, première marque de distributeur (MDD) halal au monde.
Aux sociétés allemandes, son message se veut clair : investissez en France ! « La nature a horreur du vide. Il existe une grosse demande qui n’est pas satisfaite. (…) On peut choisir de ne pas faire de halal et tuer nos outils de production ; ou on choisit d’aller au-delà de tous les aprioris négatifs véhiculés par les médias » et se lancer dans le business, lance-t-il.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le marché représente pas moins de 5 milliards d’euros mais son potentiel s’élèverait à 9 milliards pour M. Bouzid. Mais il prévient : « Le donneur d’ordre est celui qui possède l’argent, donc le client. Vous devez être suffisamment informés sur le secteur du halal et maîtriser l’information afin de la transmettre à vos acheteurs », en s’appuyant particulièrement sur « des médias affinitaires crédibles » dont fait partie le mensuel gratuit des cultures musulmanes Salamnews, capables de cibler directement les consommateurs musulmans et « sur lesquels Casino s’est appuyé pour lancer sa marque Wassila ». C’est autour de la communication que la bataille commerciale se joue entre industriels : à chacun de tirer son épingle du jeu.
Un accompagnement nécessaire pour qui veut se lancer
Pour apporter toutes les garanties aux consommateurs, les entreprises doivent « s’adjoindre un accompagnement » et faire « un transfert de confiance » à une équipe compétente pour gérer le dossier du halal. Dossier toujours très épineux en France à la lumière des polémiques inutiles à l’instar de ceux qui ont agité le monde politique lors de la précédente campagne présidentielle mais également, rappelle M. Bouzid, en raison de l’insuffisance de traçabilité et d’une transparence « effective, réelle et sérieuse » des industriels et des agences de certification. Et si chacune a sa propre définition du halal, il est clair que « le halal auto-certifié ne perdurera pas ». Avis aux industriels.
En dépit des problèmes que rencontrent les consommateurs musulmans, le marché français du halal reste plus structuré en France qu’en Allemagne.
« Il suffit de voir les évolutions de la grande distribution ces dernières années », indique M. Bouzid. Un constat partagé par Susanne Schlaack, conseillère agricole à l’ambassade d’Allemagne. Depuis trois ans qu’elle vit à Paris, elle estime que le halal fait partie du quotidien des Français. « Je trouve qu’il y a une belle représentation des produits halal dans les enseignes françaises, pas en Allemagne. C’est un non-sujet pour nos médias », nous déclare-t-elle.
Le halal, un potentiel non exploité en Allemagne
« La grande distribution en France est plus courageuse qu’en Allemagne mais nous espérons une transformation du marché dans les prochaines années. Nous avons des raisons d’être optimistes car ces trois dernières années, les séminaires sur le halal se sont multipliés et on sent un plus grand intérêt », nous dit M. Evler de DT Food.
L’Allemagne compte plus de 4 millions de musulmans dont la grande majorité est d’origine turque. Le marché du halal allemand est d’ailleurs détenu par les quelque 15 000 superettes turques indépendantes dites « Oncle Mehmet », qui correspondent en France à « l’Arabe du coin ». Mais « jusqu’il y a quelques années, je n’ai jamais fait le lien entre les produits turcs et halal car personne n’en parle en Allemagne », nous dit Mme Schlaack. Car en ces lieux, c’est bien l’aspect turc des produits qui est mis en avant auprès des clients, peu regardants sur la fiabilité de leur caractère halal. « Beaucoup d’entrepreneurs s’auto-certifient. Les contrôles sont quasi-absents. Les organisations musulmanes allemandes n’ont pas encore pris la mesure du problème », explique DT Food.
La France peut tirer son épingle du jeu
« Le sujet de la compétitivité entre nos pays est délicat mais je trouve que le halal est un secteur dans lequel la France a devancé les Allemands, qui ont beaucoup à apprendre. C’est un atout mais que la France ne prête pas assez attention », dit Mme Schlaack. Et pour cause : le halal est facilement sujet à polémique dans un contexte marqué par la montée de l’islamophobie.
Pour l’heure, les entreprises allemandes n’en sont encore qu’au stade de la prospection. C’est le cas de Meemken Wurstwaren, qui se présente comme un des plus grands producteurs de halal outre-Rhin. « Nous faisons du halal depuis huit ans mais son site de production est totalement séparé du non-halal depuis trois ans. Nous connaissons le marché français mais pas autant que nous le devrions. Nous espérons trouver des opportunités pour distribuer nos produits », nous confie son directeur. Ce voyage d’affaires devrait leur donner bien des idées à revendre à leur retour.
Rédigé par Hanan Ben Rhouma | Vendredi 21 Septembre 2012
(saphirnews.com)